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Brèves et cetera
2 novembre 2017

La chasse au trésor

L’homme s’arrêta, incertain. Il lui était difficile de se repérer dans ce décor. Depuis deux jours, il errait dans cette épaisse et sombre forêt de sapins. Tous les arbres se ressemblaient ; pas de chemin, pas de maison, pas de panneau pour s’orienter. La batterie de son téléphone l’avait lâché dès la première soirée en forêt ; il venait de terminer sa dernière barre de céréale ; sa gourde était vide ; sa cheville blessée le faisait terriblement souffrir. Cette chasse au trésor qui durait depuis 1 an tournait maintenant, officiellement, au cauchemar.

Tout avait commencé sur un coup de chance, ou de malchance dirait sa femme. Ils accueillaient leur nièce pendant les vacances d’été. Comme toutes les ados, elle était friande des programmes télés racontant des histoires vraies extraordinaires.  Lui, qui ne regardait jamais les émissions débiles du samedi soir, avait tout de même cédé pour lui faire plaisir. Il s’était installé à côté d’elle pour faire ses mots-croisés, écoutant d’une oreille distraite cette niaiserie. L’histoire de ce milliardaire excentrique, et surtout l’excitation de sa nièce à son écoute, avait attiré son attention. Ce riche collectionneur d’art avait caché une cassette contenant un trésor de plus d’un million de dollars quelque part dans le monde. Il avait glissé des indices dans un poème de 9 strophes. Les ventes de l’autobiographie contenant le poème avaient évidement été fulgurantes, mais à ce jour, trois ans après sa sortie, personne n’avait découvert le trésor. Le présentateur lut la première strophe du poème. Pour l’homme, grand amateur de mots-croisés et d’énigmes, la réponse coulait de source. Ça se passait dans les rocheuses. C’est vrai que l’allure générale du milliardaire l’avait directement mis sur la voie des Etats Unis ; chapeau de cowboy, chemise bleue à carreau, pantalon en jeans, rire fort et méprisant. A travers l’écran il pouvait presque sentir son haleine de cigare froid et imaginer que son cheval l’attendait à l’extérieur du studio. Si toutes les énigmes du poème étaient du niveau de celle-ci, le trésor était à lui. Sa nièce en était également convaincue et, dès le lendemain, elle lui acheta le livre de ce JR Ewing de pacotille.

Les quatre premières strophes ne lui résistèrent pas longtemps. En 3 mois, il acquit la certitude que le trésor se trouvait au Nouveau-Mexique, au nord de Santa-Fe, sur une montagne de plus de 1500m. Fort de ces trouvailles, il entreprit plusieurs voyages sur place pour tester les hypothèses que lui inspiraient les 5 dernières strophes. Chaque vacance scolaire, il troquait son vieux velours vert et ses mocassins noirs pour un pantalon et des chaussures de randonnées de professionnels. Chaque vacance, il perdait un peu plus l’estime de sa femme qui avait le sentiment que, dans cette quête du graal insensée, il perdait son temps et leur argent ; le seul côté positif qu’elle y voyait, c’est qu’il avait également perdu des kilos superflus et gagné un teint bronzé de baroudeur qui lui allait bien, mais à quel prix ? Des livres, des outils, des voyages, des rencontres entre chasseurs, des nuits sur les sites internet dédiées à cette chasse au trésor… Un trésor d’ennui selon elle, qui voyait son époux s’éloigner. L’homme, possédé, ne comprenait pas le désintérêt de sa femme pour ce trésor qui ferait forcément leur bonheur ; il suffisait juste de le trouver ! Quand il ne donnait pas ses cours à la fac, il partait donc au Nouveau-Mexique, explorer les 3 montagnes de plus de 1500m dans la zone qu’il avait délimitée. Il cherchait désespérément « où les eaux chaudes s’arrêtent » ; sans ça, il ne pouvait pas dérouler le reste des instructions qu’il avait déchiffrées correctement, il en était certain. Dans le passé, il avait cru plusieurs fois tenir la cassette à portée de pelle ; mais non ; comme 60 000 autres chasseurs, il avait échoué. La frénésie de la chasse tournait dernièrement à la folie. Des tombes étaient profanées, des propriétés dévastées ; plus grave, cette ruée vers l’or avait déjà fait deux victimes. Sa nièce, sa femme, ses amis avaient tout fait pour le dissuader de partir pour cette énième expédition ; mais l’homme avait décidé de faire une dernière tentative, convaincu qu’il touchait au but. Il était arrivé dimanche dans cette région sauvage et accidentée. Il avait monté son campement et avait effectué une randonnée de trois heures qui l’avait mené là « où les eaux chaudes s’arrêtent ». Il avait tout prévu, un plan sans faille si ce n’est qu’une fois de plus il s’était trompé. Il avait creusé et creusé mais n’avait trouvé comme trésor que des cailloux et quelques ossements. Dépité et résigné, il était redescendu à son campement et sur terre ; il rendait les armes, le cowboy avait gagné ; lui avait perdu un an de sa vie, ses économies, quelques amis et sa femme peut-être.  Il était trop fatigué pour repartir le soir même ; il avait donc décidé de passer une dernière nuit dans les rocheuses dont il appréciait le calme et la tranquillité… quiétude toute relative puisqu’à 4h00 du matin, tout s’enchaina très vite : attaque d’un sanglier solitaire blessé, saccage de son campement, départ précipité avec son seul sac à dos, cheville tordue, égarement dans la forêt.

Putain de sanglier et surtout putain de milliardaire… sans ce beau parleur sorti tout droit d’un épisode de Dallas, il n’en serait pas là, à se demander s’il est déjà passé devant ce sapin… il serait tranquillement installé dans son canapé, à faire ses mots-croisés, à côté de sa femme. Comment allait-il s’en sortir ? Il avait survécu à la première nuit, mais ne jurait pas que le miracle se reproduirait. Il s’allongea au pied d’un arbre, épuisé, et alors qu’il luttait pour ne pas perdre connaissance, l’homme se mit à fredonner ; Dallas, ton univers impitoyable, Dallas glorifie la loi du plus fort ; il allait mourir dans ce bois de sapin et il chantait le générique d’une série débile des années 70. Son cerveau devait commencer à le lâcher. Il jurait même entendre un cheval hennir… ce délire Texan et cette ruée vers l’or le menaient tout droit à la folie et à la mort. S’il pouvait revenir en arrière il se garderait bien de partir en chasse ; un bruit dans les buissons ; pitié, pas le sanglier encore ; il n’a plus la force de se lever, il se protège le visage de ses mains et reste immobile. Il entend alors une voix : « Salut, je cherche un sanglier blessé, il n’aurait pas croisé ton chemin par hasard ». Il ouvre les yeux ; un garde-chasse sur son cheval le regarde ; un garde-chasse au trésor peut-être ; il s’endort.

The-Thrill-of-the-chase

 

Brève présentée au concours de la Médiathèques de Haute-Saintonge en 10/17 – Première phrase imposée

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