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Brèves et cetera
18 octobre 2017

La corde au cou

Tatiana suit l’homme à travers le showroom coloré. Ils entrent dans une petite salle sans fenêtre ; l’homme l’invite à s’asseoir ; son regard est bienveillant, attentif. Elle décide alors d’ôter son étole ; la corde apparait. C’est sa marque de fabrique, pas de naissance, elle est venue plus tard. Il a fallu une tentative de suicide pour qu’elle naisse à la base de son cou.

Elle a pourtant eu une enfance sans histoire. Puis est venue la maladie de sa grand-mère qu’elle aimait tant, et sa mort ; parallèlement, le couple formé par ses parents est aussi tombé malade ; il est également mort. Deux deuils et un déménagement à assumer à 16 ans, c’est beaucoup pour une fille sans histoire. Tatiana choisit la transparence. Elle n’attire pas les amis ou les ennemis. On ne la choisit pas en cours de sport pour faire partie de son équipe, on ne l’invite pas aux soirées anniversaires, elle n’est ni la tête de turc de la classe ni la chouchoute de la maîtresse, on ne lui demande jamais son avis, elle n’est fan d’aucun groupe de rock, amoureuse d’aucun garçon. Elle n’est rien. Dans la grande maison où elle habite alors, seule avec sa mère, elle s’est aménagée une pièce pour coudre. C’est sa grand-mère qui lui a appris. Elle a plein de tissus, de cordelettes, de rubans, de boutons. Elle aime toucher le cachemire et la soie. Ça lui apporte la seule douceur dont elle pense avoir besoin. Elle coud des écharpes, des étoles qu’elle n’ose pas porter ; elle les offre aux membres de sa famille, qui ne les portent pas non plus. Un matin, elle décide de recommencer son histoire et revêt une écharpe qu’elle a confectionnée ; un groupe de filles de l’école se moque ; « c’est quoi cette écharpe de grand-mère » ; il n’en faut pas plus pour la stopper dans son élan ; elle rentre à l’heure du déjeuner à la maison, fouille dans l’armoire à pharmacie et avale des somnifères avec du whisky. Lorsque sa mère rentre, elle trouve Tatiana allongée dans son atelier de couture, sa splendide écharpe de soie serrée autour du cou, inconsciente.

Samu, psy, amour parental, tatouage. Elle décide de marquer au fer rouge sur sa peau cette vie sans histoire et se passe la corde au cou. Elle se fait tatouer, sur la gorge, une élégante cordelette dorée et noire, aussi élégante que l’écharpe de soie qui lui a presque couté la vie.

Depuis, cette corde l’a maintenue en vie mais elle lui a aussi couté quelques boulots. Elle a eu beau la cacher pendant les entretiens d’embauche, sous des cols roulés et des beaux discours, la cordelette et sa fragilité apparaissent toujours, au détour d’une conversation ou d’un faux-mouvement.

Mais aujourd’hui, en entrant dans cette petite salle, elle a décidé d’assumer pleinement son parcours et son tatouage. Est-ce le regard bienveillant de l’homme ? Est-ce la présence, autour du rideau de l’entrée du showroom, d’une cordelette dorée et noire ? Est-ce pour montrer à cet homme que le poste de créatrice en passementerie est pour elle puisqu’il est gravé sur sa peau.

corde au coup

Brève présentée au concour AuFeminin.com en 09/17 - thème: C'était mon premier tatouage

 

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