SDF Intolérante

9 août 2017

Comme tous les jours Mireille rentre dans le métro à la station « Porte de la Chapelle ». La journée d’hier a été peu lucrative : elle a récolté 44,35€, une pomme, une demi baguette, deux petits paquets de chips, un paquet de gâteaux secs, 3 tickets de métro et 2 clopes... Une fois la chambre réglée, ce n’est pas avec ça qu'elle a pu se payer sa bouteille de Villageoise. Elle doit trouver une nouvelle technique pour que les GM, les Gentils du Métro comme elle aime à les appeler, lui donnent de l'argent.

Elle n’a pas de gosse, pas de chien, pas de chat, pas la voix de Céline Dion et pas d’accordéon pour amadouer la foule. Mais elle a un bon accent de titi parisien et ça, ça rapporte quand même plus que l'accent roumain. Du coup elle survit grâce à son petit laïus bien rodé : sans emploi, elle a faim, elle a froid, parfois elle avoue même qu’elle a soif ; et surtout elle insiste qu’elle ne veut pas dormir dehors et que la vie est dure dans le métro pour une femme. Ça, ça fait souvent chavirer le cœur des GM hésitants. Mais son physique abimé, ses yeux rouges alcoolisés et ses cheveux gras jaunissant ne jouent pas en sa faveur ; les GM préfèrent lui donner de la nourriture que de l’argent. Ils sont sûrs qu’elle ne va pas le boire comme ça, les a-t-elle souvent entendus commenter… qu’est-ce que ça peut leur foutre à eux qu’elle ait plus besoin de boire que de manger pour survivre... Chacun ses priorités, bordel !

Suite à une conversation surprise entre 2 PM, les Pimbèches du Métro, Mireille va tenter aujourd’hui une nouvelle approche. Les PM, c’est celles qui font bien attention à ne pas croiser le regard de la misère au cas où ça soit contagieux ; quand elles sont seules, elles gardent la tête baissée au passage de Mireille ou elles regardent le tunnel noir par la vitre du métro ; quand elles sont 2, elles font comme ces 2 là, elles n’interrompent même pas leur conversation pendant son laïus. Solidarité féminine de mes fesses ! Mais bon, cette fois ça valait le coup. Comme elle était arrivée en bout de rame, Mireille est restée un peu à côté d’elles à écouter leur conversation sur les intolérances alimentaires. Et ça lui a donné l’idée d’apporter une petite nuance à son discours. Elle va continuer à dire qu’elle a faim et qu'elle attend un petit geste des parisiens pour l'aider à survivre mais elle va préciser qu'elle est allergique au gluten, au lait et que le sel c'est pas bon pour ses artères. Elle précisera qu’elle n’a pas non plus les moyens de se soigner donc elle préférerait vraiment de l'argent à de la nourriture. A votre bon cœur Messieurs-dames !

Elle attaque sa nouvelle rengaine à 7h30, et récolte 35€ dans la matinée. Ça commence bien ; à ce rythme-là, elle va s’offrir du Beaujolais ce soir. Mais pendant l’après-midi, rien ne va plus. Elle se voit tout à coup offrir des galettes de riz, des plats végétariens, des chips au maïs soufflé et de la bière sans alcool à l’épeautre… Mais ils sont tombés sur la tête les parisiens ou quoi ? Elle n’a jamais reçu autant d’échantillons de bouffe. A 17h00, elle n’a pas eu un sou mais un sac plein de nourriture, diététique de surcroit !

Mireille ne comprend pas ce qui cloche jusqu’à ce qu’un GM lui offre un énième sachet de galette de riz en lui précisant qu’elle a de la chance car il sort du congrès végan qui se déroule à la Porte de Versailles, station du bout de sa ligne.

De la chance ? de la chance… Pas de bol oui ; des années qu’elle dit qu'elle est sans emploi, et personne ne lui a jamais donné un boulot. Quand elle dit qu’elle a froid, personne ne lui a jamais donné son pull… Mais le jour où elle dit qu’elle ne veut pas de gluten, on l’écoute et on lui donne du soja et du quinoa… la vie est vraiment dégueulasse ! qu’à cela ne tienne, elle tient sa revanche. Au prochain arrêt, elle changera de rames, et elle débutera son nouveau speech : elle sera allergique au soja, aux légumes et aux boissons sans alcool. Si avec ça elle ne chope pas un jambon beurre, une bière et une bouteille de vin, elle n’aura plus qu’à changer de carrière !